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Notre Quête Spirituelle

 








Une mutation silencieuse

 

Thierry Vissac

(Paru dans Sources d'avril 2019,  n°45)
 


À l’heure où la révolte gronde, une nouvelle occasion se présente de nous interroger sur le sens de notre vie et sa finalité.

 

Il est vrai que le monde nous offre un spectacle social attristant. La structure de notre société ne favorise pas l’égalité des chances et l’être humain qui ne cherche à se réaliser que professionnellement et financièrement a toutes les raisons de se plaindre. Il le fait avec une force désespérée qui nous interpelle.

 

Lorsque nous avons été touchés par une émergence spirituelle dans notre existence, nous considérons les choses sous un angle différent. Nous faisons d’abord le constat que les révolutions fracassantes de l’histoire n’ont jamais transformé profondément les circonstances, dans le meilleur des cas. La violence des rébellions apporte aussi avec elle ses rivières de sang et de larmes. Notre époque n’est pas épargnée par cette réalité. Que ce soit dans la perspective d’un accomplissement personnel ou pour améliorer notre société, nous commençons à réaliser que la révolution doit d’abord se produire en soi comme condition sine qua non d’un renouveau. Mais cette maxime finalement assez populaire n’est que trop rarement incarnée, sans doute faute d’avoir des pistes claires pour la pratiquer.

 

Les freins de nos existences ne proviennent pas seulement de nos chemins de vie particuliers ou d’interprétations trop étroites du sens de notre passage sur Terre mais également de la structure encore archaïque de notre cerveau (nos aspirations les plus élevées dépassent encore notre capacité à les incarner). Il est difficile d’améliorer la condition humaine sur de telles bases. Que nous limitions notre existence à la seule perspective d’une profession et de ressources financières stables, mêlée à une demande d’amour frustrante, ou que nous souhaitions nous élever spirituellement, nous sommes soumis aux mêmes contraintes. Manifester auprès des autorités pour qu’elles améliorent notre condition humaine est illusoire quand ces dernières fondent leurs propres projets sur les mêmes croyances et les mêmes limitations. Socialement, l’inégalité ne peut que perdurer dans une perception de la vie où la ligne directrice consiste à tirer profit aux dépens des autres… où que l’on soit placé dans la pyramide sociale. Les autorités ne sont pas dédiées à améliorer la vie des citoyens, elles sont, comme chacun, à leur propre service pour « tirer leur épingle du jeu ». Dans ces conditions, guerroyer dans l’espoir d’un changement est un jeu de dupe.

 

Ce constat, quand il est pris au sérieux, devrait nous conduire à consacrer une partie de notre temps à un examen intérieur des rouages de nos vieilles fondations et aux possibilités de participer « du dedans » à une éventuelle révolution. Une démarche peu visible aux yeux des autres et dont l’évolution est subtile et patiente. Pour ma part, la méditation m’avait d’abord semblé être une voie royale et douce. Mais ce qu’elle apportait en intériorité et en apaisement n’était pas suffisant pour déjouer les mécanismes universels du « profit » de notre vieux cerveau endormi. Il a fallu se pencher un peu plus sur ce que j’appelle « la faille », cette blessure-racine que nous possédons tous (quand elle ne nous possède pas) et sur la base de laquelle notre fonctionnement personnel vient s’inscrire.

 

Un être humain capable de changer le monde ou de contribuer à cette transformation existe potentiellement, mais il n’a pas encore vu le jour. Si la violence et le mensonge qui découlent de la quête de profit personnel ne sont pas éclairés en soi d’une lumière franche, rien ne peut changer, même dans notre propre vie. Aucune structure nouvelle ne peut surgir de cette mécanique atavique. Autant alors oublier la perspective de changer le monde. Pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, un militant pacifiste devient à son tour une bête de guerre – et malgré sa bonne volonté, voire sa bonne foi - à cause du manque de lumière sur les archétypes se tenant à la jonction entre sa vie personnelle défaillante et l’expérience spirituelle.

 

Une révolution n’est, par définition, jamais approximative. Il ne suffit pas d’être de bonne volonté, d’avoir des idées positives ou de savoir communiquer selon les codes courants pour mettre en branle une vraie réforme. Dans les milieux spirituels, autant que dans les milieux militants, on se contente parfois de ces manifestations de surface où les apparences et l’enthousiasme, comme partout ailleurs, suffisent à donner l’impression qu’on va « changer les choses ».

 

Nous ne pourrons donc pas nous contenter d’une révolution approximative en soi si nous aspirons à l’émergence d’« autre chose », voire, qui sait, d’un monde meilleur.

 

Je reviens à la notion de « faille » : par sa nature primitive, elle est au cœur de toute transformation. Fondée sur une demande d’amour universelle, elle se décline sous des formes propres à notre chemin de vie. Elle nous rappelle paradoxalement à la nécessité de l’émergence de notre âme (c’est son message essentiel) tout en nous précipitant constamment dans la relation aux autres pour tenter d’y chercher un « profit » que nous ne savons pas puiser dans notre nature profonde, au-delà des limitations de l’incarnation brute. Ainsi, la faille est à la fois un barrage et une porte. Lorsqu’une personne prend connaissance de la forme précise de sa faille, qu’elle en prend la responsabilité et porte l’attention sur ce lieu de passage, je constate seulement alors qu’une révolution intime et prometteuse se met en marche.

 

La vraie révolution ne peut en effet  être qu’une mutation, nécessaire pour que nous cessions de reproduire indéfiniment les mêmes schémas. Les tentatives plus complaisantes avec « le système » (pas celui de notre société, qui n’est qu’un reflet, mais celui de la faille humaine) ne pourront que déployer les mêmes stratégies en impasse.

 

Comment vit-on une mutation ? Nos efforts personnels ne sont pas les meilleurs leviers. Fréquemment, une mutation est initiée par un événement déclencheur bouleversant le système de la faille. À nous de l’accompagner, cependant. Certains de ces événements sont un peu à l’image du choc ancestral de cette météorite sur la Terre, duquel est née la vie, suite à un repositionnement de notre planète dans un axe plus favorable à son apparition.

 

Il y a environ 500 000 ans, homo erectus disposait d’un cerveau bien plus petit que notre cerveau actuel. Pour devenir celui qu’on a appelé ensuite homo sapiens (l’homme intelligent), il a fallu une mutation de l’ADN qui a profondément transformé la conscience que notre ancêtre avait du monde. Sa réflexion est devenue capable d’abstraction et les premiers concepts sont nés de cette modification. Le cerveau a changé de taille et de forme également afin de permettre l’expression de ces nouvelles valeurs, de leur donner une assise physiologique sans laquelle un potentiel n’est jamais complètement activé ni reproductible. Les capacités de l’être humain ont ainsi été décuplées et son potentiel s’est déployé sans cesse à partir de là.

 

Certains scientifiques parlent de cette mutation comme d’une erreur de parcours aux conséquences positives ! Mais l’intelligence de la vie ne fait pas d’erreur de parcours et l’avancée significative survenue à cette époque semble se reproduire. Afin d’accéder à « l’homme sage » qui pourrait naître au sein de notre espèce, et que nous attendons avec un sentiment d’urgence, des modifications précises et minutieuses sont nécessaires et dont nous constatons les prémices. Ce sont comme de petites météorites intérieures qui viennent modifier l’axe de notre vie pour favoriser l’émergence de l’âme.

 

Quel fut le déclencheur de la mutation actuelle ? C’est difficile à dire, mais la mutation est en marche et tout indique qu’elle ne survient pas par hasard dans notre civilisation. Nos comportements doivent radicalement changer, ne serait-ce que pour la survie de notre espèce et sa capacité à manifester et incarner les valeurs qui nous échappent encore trop souvent.

 

L’amour ne peut tout simplement s’exprimer qu’en l’absence de quête de profit personnel. Notre société structurée à partir de ce dernier instinct primitif ne pourra céder la place qu’avec cette mutation. De la même façon, les dommages infligés à notre planète sont en lien direct avec nos limitations actuelles. Certaines choses ne « percutent » pas encore en l’humain, malgré sa bonne volonté occasionnelle.

 

La violence de nos « manifestations » actuelles et leurs alibis appartiennent à l’univers de l’homo sapiens. Certains préfèrent continuer de croire qu’un combat bien mené nous fera  « prendre le dessus » (et donc devenir ce que nous dénoncions), plutôt que de travailler sur soi afin d’incarner des valeurs qui, seules, nous délivreront des agissements primitifs. Autrement dit, les problèmes sociaux ne sont pas issus d’une caste de dirigeants corrompus, malveillants ou incompétents mais d’un fonctionnement humain partagé qui se perpétue depuis toujours en position de pouvoir. En l’état actuel de notre cerveau, même un humain désireux de s’élever au-dessus de la possibilité de corruption court tous les risques de tomber dans le piège. La mutation n’est pas accomplie !

 

Pour participer à cette révolution génétique et spirituelle, nous devons envisager un travail sur soi afin d’accompagner cette mutation dont la finalité est de produire, jusque dans l’incarnation, de nouveaux circuits d’apprentissage permettant de manifester l’amour, la compassion, l’écoute, le respect et de mettre fin ainsi aux comportements de prédateurs organisés et égocentriques.

 

L’intelligence de la vie n’a pas besoin de nous pour provoquer les modifications de l’ADN, mais nous sommes en capacité de répondre à cette mutation en incarnant les possibilités naissantes. Notre vieux cerveau d’homo sapiens doit comprendre que nous voulons insuffler dans sa structure même de nouvelles possibilités, au « risque » de le bousculer sérieusement. Notre mode de comportement ne peut plus contredire nos aspirations profondes. Notre âme doit savoir que les conditions de son émergence sont en marche. Il nous revient finalement d’agir, dans une démarche intérieure et intime, de telle façon que les nouveaux chemins d’expression des valeurs profondes deviennent des réalités vivantes. Ensuite, comme l’apprentissage du vélo, nous ne l’oublierons jamais.

 

Sans cette transformation intérieure, nos révolutions extérieures continueront de faire « beaucoup de bruit pour rien ».


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Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .