ISTENQS
Ici se termine enfin
Notre quête Spirituelle

 

La seconde naissance est en fait

notre toute première réalité

 

 

 

Thierry Vissac - Revue 3° Millénaire n° 83

 

   

Seconde ou première naissance ?

 

On parle de naître à nouveau dans la plupart des traditions spirituelles du monde 1 car ce que nous voyons comme notre première naissance, dans son évidence matérielle, peut conduire à la révélation d’une autre évidence, moins flagrante dans nos sociétés, qui concerne notre nature spirituelle.

 

Mais la nature spirituelle précède et succède en réalité à la naissance de la chair, c’est donc cette dernière qui pourrait être appelée seconde naissance.

 

Il s’agit en fait de réaliser que nous ne sommes pas nés à la date et au lieu que nous avons mémorisés et qui ont été transcrits sur nos papiers d’identité.

 

Notre véritable nature est spirituelle, elle est notre première naissance. Le point de vue des gens « spirituels », mais centrés sur l’incarnation, leur fait observer la réalité dans la chronologie de la venue au monde terrestre : l’homme porte en lui le pressentiment de l’éternité de la Vie , mais ce pressentiment est en réalité une nostalgie, non pas le goût de quelque chose à venir mais de quelque chose d'oublié, enseveli sous les urgences de nos vies personnelles dissociées. Et nous sommes donc nés avant ce corps et ne faisons que nous en souvenir un jour terrestre.

 

Quand ce « pressentiment » se fait jour, il semble que nous naissions à nouveau, qu’une fraîcheur nouvelle vienne habiter notre être, que notre vraie nature et le sens de notre existence se manifestent avec une telle clarté qu’ils relèguent notre ancienne histoire personnelle à « une autre vie ». La maturité physique et sociale le fait dire sur un certain plan mais la maturité spirituelle est encore plus radicale en ce sens qu’elle fait la distinction entre les agissements personnels fondés sur l’oubli, dans la fuite de soi et du réel et les actions fondées sur la reconnaissance de notre nature véritable et sur l’accueil de toute chose comme expression de l’Intelligence de la Vie. Une tout autre vie.

 

La naissance de notre nature spirituelle n’est pas produite par les rituels qui n’en sont que des symboles.

 

Les traditions ont saisi cette bascule radicale pour en faire un rituel (celui des deux fois nés en Inde, de la confirmation catholique etc.) qui, comme tous rituels aujourd’hui, a grandement perdu de son sens premier. S’il n’est pas inutile de marquer symboliquement les passages de la croissance, il est inévitable que la valeur profonde du symbole risque de se dissiper avec le temps au profit de leur forme superficielle.

 

Les rituels laïques qui invoquent la Constitution ou les droits de l’homme sont d’ailleurs en train de subir le même déclin aujourd’hui que les rituels religieux d’hier.

 

La pensée ne fait pas notre existence, elle ne peut que la commenter.

 

Quand nous faisons table rase des formes figées et dépourvues de vie qui occupent nos esprits, nous pouvons renouer plus facilement avec le sens.

 

Le sens de la naissance première est celui de la vie éternelle. Il n’y a donc pas de naissance. Il n’y a pas de mort.

 

Mais, dans cette conscience, la « seconde naissance » n’est plus alors perçue comme un événement futur, fruit du mérite ou du hasard, mais comme le substrat de notre « conscience d’exister », avant, pendant et après le corps.

 

Nous existons avant même d’y penser, nous existons avant même de penser.

 

La pensée ne fait pas notre existence, elle ne peut, qu’au mieux, la commenter. Quelque part, au fond de chacun, subsiste au moins une trace de cette évidence. La pensée ne marque pas le début de la vie et l’absence de pensée sa fin.

 

Mais nous avons pourtant tendance à croire (à penser) que notre existence terrestre débute au moment où nous commençons à penser et il n’est pas rare que nos souvenirs remontent d’ailleurs au plus loin à ce moment de notre vie enfantine où notre esprit a commencé à conceptualiser le réel. Ce n’est qu’une coïncidence, car la maturité de l’intellect, qui permet la saisie consciente de la réalité par la pensée et le langage (vers l’extérieur), survient au moment où la conscience a, dans le même temps, la capacité à se retourner sur elle-même (vers l’intérieur) et réaliser sa propre éternité.

 

Nous avons confondu, faute d’une éducation éclairée, le moment de l’émergence de la pensée avec celui de la vie (la plupart d’entre nous seraient alors nés une première fois autour de trois ou quatre ans) de la même manière que nous avons confondu le moment de l’émergence de notre nature spirituelle avec sa naissance. Ce qui faisait dire de l’être qui s’éveille spirituellement : « il est né une seconde fois ».

 

Nous sommes pourtant nés de et dans l’Esprit avant même de nous en souvenir ici, tout comme nous sommes bien nés dans la chair avant même d’y penser.

 

Notre naissance n’est donc pas historiquement là où nous la plaçons et cela nous révèle comment notre perception est faussée et que toute réflexion sur la nature de l’éveil spirituel est une complication mentale à l’origine des quêtes les plus farfelues, quand elles ne sont pas tragiques.

 

La résurgence de la mémoire

 

Ce retour de la mémoire qui s’apparente à la découverte de quelque chose de nouveau n’a de neuf que le regard que nous portons sur cet événement de la vie terrestre.

 

Nous étions, l’instant d’avant, enfermés arbitrairement dans une capsule de chair destinée à disparaître un jour et cherchant de manière désespérée à donner un sens et une cohérence à cette fatalité. Puis, comme si une paupière s’était soulevée sur un regard nouveau, nous réalisons que nous ne sommes limités à cette réalité de l’incarnation que par la pensée. Nous avons réduit notre existence à la pensée, qui la définit, la cadre et la rassure un peu et cette mentalisation du Vivant L’a mis en boite, dépourvu de ses éléments essentiels.

 

En pensant la vie, nous passons à côté de la possibilité de la vivre.

 

Nous ne sommes pas vivants de cette manière et c’est tout juste si nous pouvons parler d’une naissance quelconque, même première, tant que nous n’agissons que mécaniquement, portés par les frissons de la peur, les sécurités absurdes du mental et les limites de nos conditionnements. Il n’est pas étonnant alors, au moment où le regard, par une grâce soudaine ou progressive, dans un souffle du vent, ou sur le fil d’une conversation, s’ouvre sur la réalité, que nous soyons pénétrés d’un sentiment revivifiant, semblable au soulagement que procure la cessation soudaine d’une douleur intense en même temps que de la joie que produit un lever de soleil lumineux à la fin d’une nuit noire.

 

Cette naissance à la vie ne s’inscrit pas dans la chronologie du mental même si nous tentons de le faire pour jouer le jeu du monde et de ses repères.

 

Nous sommes plutôt comme ces personnes qui tentent de se rappeler un mot, qu’elles disent avoir « sur le bout de la langue », qui le retrouvent soudainement et avec soulagement, réalisant qu’il n’avait jamais été perdu, et comprenant que c’est leur crispation à vouloir le saisir mentalement qui l’empêchait de resurgir librement.

 

Le mot en question pourrait être Éternité.



1 La Bible dit que pour connaître le Royaume de Dieu, il faut être « né de nouveau ». Dans la tradition Indienne, pour les castes supérieures, l’adolescence est le moment d’un rite de « seconde naissance » qui rend le jeune homme apte aux rituels de la tradition védique. Cette seconde naissance se référait anciennement à la « naissance spirituelle » qui succède à la première « naissance de la chair » par la mère et le père.

 

  

© Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .