ISTENQS
Ici se termine enfin
Notre quête Spirituelle

 

Une spiritualité sans Dieu

est-ce possible ? 

 

 

Quel est le nom du souffle de vie ?

                                      

 

Thierry Vissac - Recto-Verseau n° 194

 

 

 

Sur le mot Dieu

Quand on dit spiritualité, aujourd’hui, on englobe aussi bien la conception religieuse ancienne que ses formes plus récentes. Parler de « spiritualité » c’est évoquer la « vie de l’esprit » (spiritus) ou encore l’existence du « souffle de vie» (spirare). Le souffle ou l’esprit qui nous anime peut donc s’appeler Dieu, porter un autre nom … ou ne pas porter de nom du tout. La spiritualité, dans son essence, n’est pas affectée par cela.

Dieu a longtemps été la représentation anthropomorphique de « ce qui est plus grand que soi », « ce qui nous domine » ou « ce qui nous crée ». Mais comme la nature peut tout aussi bien correspondre à ces définitions et comme le témoignage des mystiques de tous les temps n’a pas toujours été très orthodoxe, cette conception a fini par perdre de sa force avec le temps.

À la réflexion, c’est bien le mot « Dieu » et les images qui lui sont attachées qui ont perdu de leur vitalité. Ce qui reste après la disparition de ces formes mentales peut-il être appelé spiritualité ?

 

Une spiritualité …

La spiritualité est, avant toute conception, avant toute codification, un appel intérieur intime. Le fait que cet appel ait souvent été cadré ou canalisé par les dogmes des religions, au point de parfois l’altérer ou l’étouffer, ne l’empêche pas de ressurgir dans sa force et sa pureté originelle avec l’effondrement des dogmes. Au contraire…

Nous vivons une époque d’effondrement. Les constructions mentales sont ébranlées de toutes parts. La plus grande partie de l’humanité est en souffrance dans un monde qui ignore ou méprise cet appel intérieur et l’exigence religieuse de se soumettre sans question à la volonté de Dieu ne trouve plus beaucoup d’échos dans les populations qui se tournent vers des démarches qui leur paraissent répondre mieux à leurs attentes.

Ainsi, de nouvelles formes d’expression de la spiritualité, de l’appel intérieur, sont apparues naturellement. La conscience de « ce qui est plus grand que soi » semble toujours présente mais la quête spirituelle a bravé la domination des croyances ancestrales, ataviques, inscrites avec leur fardeau de peurs dans nos mémoires. L’homme moderne n’a, de manière générale, plus besoin de cette image ancienne de Dieu pour entendre cet appel en lui. Sa «spiritualité » n’est plus fondée sur des principes hérités qui avaient tendance à négliger à la fois la condition humaine et ses propres ressources qui la transcendent. Il veut maintenant ressentir les choses, dans son « cœur », dans ses « tripes ». Parfois, il lui arrive de s’égarer et ne plus vouloir les comprendre que dans sa « tête », mais le temps de la soumission et de la peur est en tous cas révolu. L’être humain est à l’écoute d’un son nouveau. Cet appel a finalement résonné plus fort en lui que la répétition des préceptes, des révélations qui n’ont jamais été tout à fait les siennes.

Grande est sa détermination à répondre à cet appel qu’il traduit au quotidien par un besoin de trouver le bonheur ou l’amour. Je ne fais pas de mauvais amalgame en associant à la spiritualité les besoins primaires de l’humain, parce qu’au sein de ces désirs apparemment superficiels se manifeste le souffle de cet appel. Si « le bonheur » et « l’amour » sont les nouveaux dieux, ce n’est pas réellement une dégradation de la spiritualité. Cela peut le devenir, si ces désirs se limitent à la quête d’objets de compensation, comme cela se produit dans une éducation matérialiste mais, au fond de chaque être humain, le besoin impérieux d’être heureux ou d’aimer, même quand il n’y parvient pas, est comme une nostalgie. Il désire moins obtenir quelque chose qu’il n’a pas que retrouver ce qu’il connaît intimement.

 

… sans Dieu ?

Et ce Bon Dieu qu’on lui a décrit, il ne le connaît pas. Il a bien essayé de le prier, de répondre à ses attentes, telles qu’elles sont définies par les prêtres de ses multiples églises, il ne fait que déplorer son absence, alors même qu’au fond de lui se manifeste une Présence si intime par moment. Le regard braqué vers les Cieux ne pouvait s’attarder sur de telles humeurs. Il était clair que l’homme devait s’oublier lui-même pour satisfaire le Créateur.

Aussi longtemps que cette conception de Dieu est présente à son esprit, le chercheur est comme un vase vide. Il attend d’être rempli du dehors en pensant qu’il ne le mérite pas : « Dis seulement une parole et je serai guéri » en même temps que « Je ne suis pas digne de te recevoir ». Comment pourrait-il imaginer contenir un trésor en lui-même avec de telles injonctions ? Même si le souffle ressurgit en lui, il est rapidement encadré, perçu comme une de ces passions intérieures à contrôler ou comme un signe d’orgueil. On lui apprend en fait que son Dieu ne peut pas être « au-dedans de lui », parce que son péché est immense. On le conduit à cultiver le sentiment de son insignifiance et à lutter contre sa tendance à ressentir des choses qui ne sont pas correctes.

On s’interroge : la spiritualité sans dieu est-elle possible ? Je crois que la spiritualité avec un tel dieu est à peu près impossible. Beaucoup ont d’ailleurs jugé l’arbre à ses fruits et ont même jeté le bébé avec l’eau du bain aujourd’hui. En clair, la spiritualité n’a pas gagné grand-chose à cette gestion religieuse du divin et est maintenant globalement perçue comme un problème, voire une folie.

 

Nous pouvons donc suivre le courant

Si le monde a perdu la foi, il n’y a pas d’opposition véritable à la spiritualité en tant que cet appel intérieur que chacun porte en lui-même, mais plutôt un rejet de la dictature du Dieu des religions monothéistes. Mais comme les deux sont mêlés dans l’esprit du plus grand nombre, la confusion est grande et la violence de certains propos à l’encontre du « spirituel » demande à être reçue avec compassion, parce qu’elle est la conséquence de siècles de conditionnements dont nous portons tous de profondes séquelles.

Nous sommes en même temps dans une période de transformation. Les bienfaits de ces effondrements ne se font pas tout à fait sentir encore, parce que la poussière des décombres de nos constructions obsolètes emplit l’atmosphère et qu’il est difficile d’y voir clair pour l’instant. Mais le processus est en cours. À chaque instant, chacun est invité à porter une attention sur cet appel intérieur et même si les enseignements divers qui relaient cette invitation ne sont pas tous transparents, le message global commence à être reçu.

 

Mais qu’est-ce que la spiritualité ?

À un athée qui me posait la question : Mais qu’est-ce que la spiritualité ? , je répondais : Elle est ce qui en vous cherche à faire exister la paix, la joie et l’amour, et cela est beaucoup plus simple que ce que les institutions religieuses en ont fait au nom de Dieu. Et cet homme blessé par le constat des violences religieuses s’est alors écrié : Dans ce cas, je suis d’accord. Qui ne le serait pas ? Nous portons tous en nous le même appel. Nous avons cependant tous également les mêmes fantômes. Et tant que « la paix, la joie et l’amour » résonneront comme des extraits de textes religieux, avec leur attelage de violences faites à soi-même, il sera difficile pour la spiritualité d’apparaître comme ce qu’elle est : la plus noble aspiration de l’homme.

La spiritualité n’est pas nouvelle mais ses expressions sont en phase de régénération. C’est ce qui m’a conduit à proposer aux chercheurs d’aujourd’hui d’« être avec ce qui est » afin qu’ils renouent avec la simplicité d’être, l’accueil, la joie simple d’être vivant, autant de fondations d’une vie authentique qui permet à l’humain de répondre de manière appropriée à cet appel intérieur et d’offrir le meilleur de lui-même.

C’est pourquoi j’accueille l’effondrement actuel, non pas celui des « valeurs », comme le disent certains, mais celui des constructions mentales, des murs sombres et terrifiants dressés devant la sobriété du souffle de vie en soi.

Et ce souffle vivant, au-delà des mots, est Divin.

 

 

  © Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .