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Les gardiens de la flamme

 

 

Thierry Vissac


 

Il y a des dizaines de milliers d’années, l’homme découvrait le feu sans savoir le créer. Le feu était intouchable, il ne pouvait être maîtrisé et représentait en même temps la vie et la source de chaleur. La flamme qui surgissait selon sa propre volonté devait donc être entretenue et protégée. A partir de cette découverte majeure, sont alors apparus des « gardiens de la flamme » sans lesquels cette dernière était perdue et une certaine qualité de vie avec elle.

Sur une autre strate de l’existence, nous reproduisons aujourd’hui la même expérience. Nous avons découvert le caractère sacré de l’âme, cette flamme que nous n’avons pas créée, qui se tient dans les profondeurs de notre existence incarnée, l’éclaire et la réchauffe de par sa proximité de la vie divine.

Mais l’humanité a pour mauvaise habitude de négliger cette flamme première. Dans l’ensemble, nous avons constaté que les humains aiment cogiter et qu’ils sont surtout mus, confusément, par leurs émotions. De ce fait, les strates plus profondes de l’être, comme le sentiment, l’intuition et l’âme sont trop souvent ensevelies, déconnectées. Il n’est pas suffisant de leur rappeler qu’ils ont une âme et qu’ils peuvent la laisser émerger et éclairer tous les niveaux de leur existence, parce que ce message se perd dans les urgences superficielles de notre époque.

Le besoin de veilleurs attentifs autour de la flamme est donc encore absolu aujourd’hui. Quelques humains, au minimum, doivent garder le contact avec leur âme et son inspiration.

Cette responsabilité est fondamentale dans notre civilisation. Il ne s’agit pas de discourir et d’enseigner, mais de prendre à cœur de protéger ce feu en soi. Comme pour l’homme préhistorique, la conscience que c’est une question « de vie ou de mort » confère le caractère sacré de la mission.

Nous nous trouvons parfois aux prises avec des perturbations émotionnelles qui semblent tout à coup prendre toute la place dans notre vie, comme si ce débordement chaotique devenait la chose la plus importante au monde. Nous abandonnons la flamme subtile de l’âme, avec son message d’ouverture, de paix et de compréhension de notre chemin de vie, pour mettre en avant des demandes compulsives, très égocentrées et diviseuses. Un gardien de la flamme ne peut plus agir ainsi. Il ne saurait faire autrement, même dans les moments les plus difficiles, que de « descendre en lui-même » (l’exercice de descente dans les strates de l’être) pour retrouver et protéger la flamme que des vents brutaux voulaient éteindre.

Veiller sur la flamme vient d’abord d’une prise de conscience de ce qui est essentiel et du discernement sur ce qui est secondaire (nous sommes avant tout des âmes incarnées et non pas des corps qui auraient vaguement un peu de profondeur quelque part), de la réalisation que la guérison ne vient pas des strates superficielles (on ne résout pas un conflit par l’émotion mais par l’émergence de l’âme) et enfin d’un désir profond de ne pas céder aux mauvaises habitudes de notre humanité désenchantée (comme suivre les sillons usés de nos comportements conditionnés).

Lorsque ceux qui prennent à cœur de garder la flamme se rassemblent, ils ont même le pouvoir d’éclairer au-delà d’eux-mêmes et de faire une percée de lumière dans la nuit la plus sombre. Pour tout le monde. Un seul instant où la flamme a pu être amenée dans nos paroles et nos relations est suffisant pour déjouer les mécanismes collectifs de la violence, du mensonge et de la division. De tels gardiens ne souhaitent donc pas seulement guérir eux-mêmes, ils ont une foi particulière dans leur action, un sens de la responsabilité qui surpasse les réflexes les plus primaires. Ils font quelque chose d’à la fois si courageux et rare que j’ai le sentiment d’évoquer l’engagement le plus porteur de sens aujourd’hui.

 

© Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .