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Fondations


d'une éducation
avec âme

 

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Thierry Vissac

 

 

Nos enfants et notre civilisation ont grand besoin d’une école qui ne soit pas centrée que sur les « savoirs » et qui inclue la dimension de « l’être ». Affirmant cela, je ne dis rien de neuf pour toute personne concernée par l’éducation. Mais je constate que, malgré les bonnes volontés, trop peu a été accompli dans cette direction. Au contact d’adultes engagés dans la connaissance de soi, depuis une trentaine d’années, j'ai pris conscience d'un manque profond qui trouve en grande partie ses racines dans l’éducation de l’enfant que nous étions. Pour commencer, nous souffrons de méconnaissance de soi. La plupart des individus des sociétés occidentales sont ignorants de leur vécu le plus intime. Tous ont appris à penser, à cogiter et à se faire du souci et peuvent parfois discourir sur des concepts politiques ou philosophiques. Mais les constituants de leur « vie intérieure » leur sont comme inexplorés. Il m’arrive d’interroger : « Savez-vous ce que vous ressentez dans l’instant ? ». Il n’est pas rare qu’on ne sache pas me répondre. Le simple ressenti immédiat n’est pas « conscientisé » et si nous sommes plus ou moins capables de rapporter ce que nous « pensons », nous avons le plus grand mal à reconnaître ce que nous « ressentons » et « éprouvons ».

Qu’enseignons-nous à l’enfant dès les premiers instants de sa scolarité ? Il est objectivement précipité dans un environnement nouveau, loin du cocon familial, et découvre brutalement la compétition des cours de récréation et des salles de classe. On lui explique qu’il va devoir engranger des savoirs et que ses maîtres et ses parents seront fiers de lui s’il les apprend bien. Mais on ne lui demande généralement pas ce qu’il ressent et personne n’est présent pour l’accompagner dans le trouble qui naît en lui face à ce nouveau monde. Je considère cette lacune comme une des blessures fondamentales de l’être humain, une des premières marques qui nous conditionne à séparer le monde du ressenti intime de celui de la pensée. Ainsi, toute la richesse de la vie intérieure est occultée au « profit » de la culture de l’intellect. Cette orientation a été justifiée par le fait que l’école a évolué vers une compartimentation qui semblait salutaire entre ce qui est transmis dans l’établissement scolaire et ce qui est transmis par les parents. Les parents seraient de cette façon en charge de la spiritualité de l’enfant (voire de décider de ne rien lui transmettre à ce sujet) et l’école aurait pour rôle de traiter exclusivement du reste. Les parents étant parfois eux-mêmes assez confus sur leur propre vie intérieure, depuis l’émotion jusqu’au sentiment spirituel, il n’est pas rare que l’enfant ne reçoive aucune information ni accompagnement relatif à cette dimension de l’être.

Afin de réouvrir ces frontières artificielles qui se sont mises en place, je propose depuis une douzaine d'années aux adultes une méthode d’accompagnement autonome de leur propre vie intérieure. Cette approche avec les adultes est cependant une tentative de réparer quelque chose. Elle est nécessaire et porte ses fruits, mais il me semble évident qu’il faut envisager de proposer une réconciliation avec la vie intérieure beaucoup plus tôt, aux enfants d'âge scolaire, parce que cela permettrait de vivre une vie plus harmonieuse, plus consciente, mais également de réinventer notre civilisation sur des bases réellement neuves et régénérées.

Quand je dis « auto-accompagnement », de quoi est-il question et comment cette approche ouvre-t-elle les portes de nos potentialités ? Par cette expression, j’évoque, pour un être humain, l’acte d'accompagner son propre ressenti par le biais de l’attention. Par « ressenti », je n'entends pas seulement les sensations corporelles qui ont déjà obtenu leur heure de gloire dans le développement personnel. J'inclus les émotions, les sentiments, les intuitions et toutes les strates plus subtiles de la conscience.

La façon la plus simple de présenter cette méthode est d'utiliser l'image de la vague, indiquant que tout mouvement intérieur (une émotion, par exemple) est comme une vague qui se soulève à l'intérieur de soi et redescend. Dans son mouvement le plus naturel, une émotion monte en soi comme une vague et redescend. Accompagner un mouvement intérieur comme celui de l'émotion, c'est ressentir le mouvement de cette vague intérieure, la laisser être et la laisser se dissoudre. Ce qui nous est donné de vivre de la façon la plus naturelle, c'est d'accompagner ce mouvement sans ni le fuir, le réprimer, ni tenter de le maîtriser, le contrôler ou de le conserver ou le faire durer plus longtemps. Le fait de restaurer une relation plus accueillante avec notre vie intérieure dans toutes ses dimensions a déjà une vertu thérapeutique (cela permet, en particulier, de réduire l’habitude du contrôle dans notre existence). Dans un second temps, l’acte du retour à soi qui autorise la reconnaissance de son ressenti permet d’être de plus en plus en amitié avec notre vie intérieure. Dans nombre de nos démarches, l'idée que l'on doit se débarrasser de certains éléments à l'intérieur de soi pour devenir quelqu'un d'autre, évoluer ou se transformer est prégnante. Mon approche est radicalement à l’inverse de cette conception. Je propose un autre postulat : rien de ce qui s'anime en soi n’est, en soi, un problème, une menace, mais notre relation à tous ces événements intérieurs est devenu le problème. J'utilise donc une expression pour résumer la relation à la vague intérieure, je propose « d'être avec ». Être avec est un auto-accompagnement, dans le sens où il s'agit d'utiliser une capacité unique parmi les espèces vivantes, propre à l'être humain, celle d’être attentif à soi-même. Nous sommes la seule espèce vivante qui en soit capable, mais curieusement, nous sommes aussi celle qui ne le fait pratiquement jamais. Enfin, ce « retour à soi » sur le fil des ressentis les plus divers, sans en écarter aucun ni tenter d’en privilégier d’autres, ouvre la voie royale de la découverte de notre potentiel.

Ces trois niveaux de réconciliation sont bien accueillis par les adultes. Mais je ne pouvais pas laisser les enfants à l’écart de ce processus. Ainsi, avec des personnes travaillant avec moi depuis quelques années, nous sommes arrivés aujourd’hui à publier un livre, « Mes Émotions… Des visiteuses inattendues », qui offre aux enfants, dans un langage adapté, la possibilité de renouer avec leur vie intérieure et de poser dans le même élan les bases d’une éducation qui n’exclut plus cette dimension vitale de notre existence. D’autres outils pour les plus petits et les plus âgés sont en cours d’élaboration.

Lorsque je m’adresse aux adultes, je leur dis : « L’attention est la clé, le ressenti est la porte ». Le contact avec des parents comme avec leurs enfants m’a confirmé que nous sommes tous en attente d’une approche qui révolutionne vraiment l’éducation et ne traite pas seulement de la transmission des savoirs et des effectifs d’enseignants. Une école qui n’apprend qu’à être vivant par la tête, sans attention sur le ressenti, ampute l’humain de son assise, du fondement de son être. Elle le condamne à devoir gérer de façon confuse et maladroite ses émotions et ses désirs, à nier ses aspirations profondes, voire à ne pas les reconnaître du tout. Elle le soumet à une impossibilité de traverser ses résistances, blocages et limitations (voir le livre : « Traversée, trois étapes clés pour une libération »).

L’auto-accompagnement est devenu l’élément central d’un projet plus global pour refonder l’école et une pédagogie qui prend en compte tous les éléments du « socle commun » actuel de l’enseignement, mais en les régénérant. Cette possibilité d’une réconciliation intérieure, d’une vie plus consciente et d’un accompagnement autonome de ce qui nous traverse en tant qu’être humain est une approche encore neuve mais qu’il est urgent de restaurer dans notre monde autant pour l’individu que pour notre société.

 

Invitation « La connaissance de soi dans le socle commun de l'enseignement ? » Tournée française autour du livre « Mes émotions, des visiteuses inattendues » et du projet éducatif auquel il se rattache. Première date : 8 février 2014 à L’Union (près de Toulouse, images de la journée et dossier de presse). Prochaines destinations : Nantes, Paris, Aix-en-Provence. Vous êtes invités à participer nombreux à ces forums pour fonder une éducation du 21e siècle qui prenne en compte la dimension intérieure de l'être humain. laparolevivante@aol.com – 07 57 50 25 99 - www.la-parole-vivante.com

 

Voir le clip vidéo « La connaissance de soi dans l'éducation de l'enfant ». Lire « l'auto-accompagnement des affects pour l'enfant d'âge scolaire »

 

 

© Thierry Vissac, Textes, photos et dessins sur toutes les pages du site .