L'humain, le plan divin, les limitations et la poche de rêve



Thierry Vissac

(Juillet 2015)

 

Au fil d'un dialogue, quelqu’un en est venu à discuter avec moi de « l’inédie » (vivre sans manger). Je répondais que j’étais assez intransigeant avec ces prétentions. Pourquoi ?

 

D'abord, parce que je travaille pour une spiritualité incarnée. Cette question de « l’humain » me tient à cœur au vu de ce qui s’est joué ces dernières années sur le grand marché spirituel.

 

Tout être humain a envie de merveilleux. Ce besoin de merveilleux trouve parfois son origine dans un refus du "monde tel qu’il est". Ce refus du "monde tel qu’il est" s'oppose finalement au plan divin pour notre humanité. Je propose de méditer ces trois phrases pour les laisser descendre en soi. Si quelqu’un m'affirme « je n’ai pas besoin de manger (je suis au-delà de ce besoin humain) », je lui dirai qu’il ne me dit pas la vérité et qu’il renie sa place dans le plan en cherchant dans cette direction. Il croit devoir s’élever au-dessus de ce qui lui est donné, des contraintes naturelles de l’humanité et sa croyance le conduit sur des voies hasardeuses, des approximations et, aussi, des mensonges. Il dira donc « Je ne mange plus », plutôt que « Je crois qu’il est possible de ne pas manger et de se faire un corps de lumière (ou de prana). Comme j’y crois très fort, je jeûne et, convaincu qu’un jour je pourrai démontrer que j’ai arrêté complètement les nourritures terrestres, je prétends déjà que c’est ce qui se passe ». Je ne vais pas m’attarder sur les formes du mensonge, ce sont les mêmes que dans la prétention à être « éveillé », « avatar » ou toute forme de distinction qui permet de se présenter « autre qu’humain ». L’important est que, cautionnant cela, pour ne pas faire de vague ou pour d'autres raisons, j'oublierais mon respect du plan naturel, de ses contraintes et de son enseignement.

 

Il n’est pas anodin d’être attiré par des promesses "surhumaines" et il n’est pas anodin non plus de se les garder en réserve dans une poche de rêve/illusion intime, tout en se disant intéressé par la spiritualité incarnée. D’une part, cela signifie que nous n’acceptons pas complètement ce plan (l’intelligence de la vie, telle qu’elle se présente à nous et en particulier l’expérience essentielle - bien que provisoire - de la sensation de limitation pour l’âme) et d’autre part, cela signifie que la compréhension des principes de la spiritualité incarnée sera partielle. Il n'est pas anormal d'avoir des options personnelles dans la vie quotidienne, mais lorsque ces options viennent désincarner la spiritualité, j'ai souvent constaté qu'il y avait là une trace de fuite, dont la racine était plantée dans cette poche de rêve intime. Je respecte le rêve, il nous dit des choses intéressantes sur nous. Mais il vaut mieux l’explorer avec le courage de regarder comment il nous maintient parfois hors du plan réel.

 

Nous apparaissons sur terre dans un corps humain qui nous limite et nous contraint. Les limitations du corps humain sont des composantes de la loi naturelle. Elles s’appliquent à tous et ne peuvent être dépassées. La nostalgie du sans limite traduit notre mémoire de la liberté intrinsèque de l’âme, mais pas celle de notre existence incarnée. Il est donc incongru de vouloir obtenir un « corps de lumière » (créer un corps qui ne serait pas matériel), de pratiquer « l’inédie » (ne plus se nourrir), de vouloir voler (« lévitation » ou chercher à avoir des ailes), de ne plus dormir, d'entretenir une fascination pour des « êtres supérieurs » (et d'en changer éventuellement quand le dernier ne nous plait plus) et autres velléités de ce type. Ces attitudes, présentes dans certains courants spirituels, risquent de devenir des fuites de la réalité du vivant sur ce plan d’existence. Certes, la mémoire de notre liberté naturelle et le refus de la contrainte nous rappelle à quelque chose qui dépasse l’histoire terrestre, mais n’est pas transposable sur ce plan et ne devrait pas l’être. Nous sommes appelés, à terme, à évoluer sur d’autres plans, moins contraignants, et de moins en moins. Nous y sommes aussi préparés. Mais l’exercice de la contrainte, pendant le temps de cette existence, doit être accepté complètement comme un élément de cette préparation ! L’humilité qui en découle nous ouvre sur le sens véritable de ce périple terrestre.

 

L’acceptation de la condition humaine est donc une fondation d'une spiritualité incarnée. Nous faisons la promotion de l’ordinaire, du simple et de l’enseignement du corps. L’enseignement du corps ne signifie pas que « nous sommes un corps » ou limité à lui en essence. Nous sommes essentiellement une âme itinérante. Mais chacun de ses voyages sur chaque plan (dont le plan terrestre) implique l’acceptation complète de ses lois et contraintes. L’âme se souvient bien de la liberté mais « en-dehors de la contrainte de la chair ». C’est normal, de par sa nature propre. Mais la contrainte vient enseigner des fondements pour le périple complet de l’âme, au-delà de l’existence terrestre, justement.

 

Ce n’est pas un hasard si les spiritualités ont perdu l’humilité. Tant sont tombées dans le piège du surhumain (supramental, avatars, corps de lumière, pouvoirs, etc.). L’humilité est une des valeurs maîtresses que l’âme vient apprendre sur terre. On préférerait être des anges qui flottent dans un espace ouvert et quelque chose de notre nature nous rappelle à ça. Mais nous ne sommes pas cela non plus. Nous préférerions être de « purs esprits » détachés de tout au point d’en être indifférents. Mais l’expérience de l’amour nous déchire et c’est ce déchirement qui vient nous enseigner. Un cœur s’affine dans la contrainte, il se durcit dans le pouvoir. Nous sommes dans un creuset de l'alchimiste suprême. Et nous sommes « en chemin », parce que nous y résistons aussi.

 

La nourriture, le sommeil sont évidemment des contraintes premières. Personne n'y échappe. Chercher à s'y soustraire maintient dans la fuite et une forme de division intérieure.

 

Nous devrions apprendre à adopter à 100 % la voie humaine, sans nuance, sans « rien laisser ». De cela, nous reparlerons. Parce que la partie la plus intéressante est ce que cela nous réserve de lumineux. En attendant, nous devrions dénicher dans nos poches de rêve secrètes toutes nos zones de fuite (peureuse ou arrogante) qui nous tiennent à distance du plan divin. Nous avons tout à y gagner.

 

PS : On avance parfois des noms de mystiques plus ou moins célèbres qui seraient la preuve d’une forme d’extraordinaire. Je vois deux choses à répondre. D’abord, il est probable que ce qui est affirmé à leur sujet ne soit pas tout à fait réel, comme je le disais plus haut. Les personnes qui disent ne plus manger n’ont pas démontré qu’elles le faisaient et, si nous sommes honnêtes, nous ne pouvons affirmer être sûrs qu’elles le font (comment le pourrions-nous ? A part une volonté d’y croire…). Par contre, nous savons de façon très pragmatique que nous avons besoin de manger quotidiennement. D’autre part, en poussant l’affirmation à son extrême, même s’il existait une personne sur terre ayant accompli quelque chose qui la distingue à ce point des autres humains (comme de ne plus être soumise aux lois communes qui font partie du plan), elle ne peut pas (et ne devrait pas, finalement) être portée en exemple, comme si elle révélait quelque chose d'universel. Elle ne serait alors qu'une curiosité ou une facétie de la nature, comme il en arrive parfois. Cette distinction me semble importante pour toutes les raisons invoquées plus haut.  

 

Suite : L'âme préparée


   

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