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Notre Quête Spirituelle

Une aube nouvelle sur la spiritualité

La relation d'aide pour le 21e siècle

 

Thierry Vissac (octobre 2013)



S’il est devenu indispensable de revoir de fond en comble la relation d’aide au 21e siècle et en particulier de comprendre le discrédit qui pèse sur la relation « maître – disciple », il est essentiel de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans son livre sur ce sujet, Mariana Caplan a bien illustré le fait que le problème n’est pas unilatéral. La position de pouvoir de ceux qu’on appelle « les gourous » est souvent dénoncée comme potentiellement abusive. On voudrait voir mieux encadrée l’activité d’aide pour que l’ascendant sur des personnes vulnérables ne conduise pas à des dérives. Certes, mais cette nécessaire éducation ne devrait pas se limiter aux seuls gourous, enseignants et thérapeutes mais à toute la population des personnes qui cherchent une aide pour leur existence. De mon point de vue, ce thème est fondamental pour notre civilisation en plus d’être passionnant dans ce qu’il nous révèle de la nature humaine. Parce qu’il faut bien reconnaître une réalité : les critiques et plaintes ne sont pas toujours fondées sur des critères absolus - et donc légitimes - mais sur des interprétations subjectives, des attentes déraisonnables (telle que la perfection) et, par conséquent, des déceptions personnelles dont la responsabilité incombe en premier lieu à ceux qui les vivent. J’ai en mémoire cette affaire d’un célèbre gourou indien de la fin du 20e siècle qui avait causé le scandale dans son propre mouvement parce qu’il avait été vu manger du poulet dans un aéroport (alors qu’il était censé être végétarien) ou de cet autre jeune maître indien qui avait eu une liaison avec une actrice indienne et qui a été mis en prison (sous l'accusation « d'obscénité » parce qu’il était, pour la société indienne, censé être chaste). Le fait que des maîtres gagnent même de l'argent est également, et de façon quasi automatique, très mal vu dans un contexte spirituel. Il y a surtout, de façon moins caricaturale, toute cette attente affective que je tente de mettre en lumière depuis quelques années, de la part de personnes croyant chercher leur liberté et venant en fait s’attacher à une figure paternelle… au point de lui reprocher plus tard, inévitablement, de ne pas avoir été le favori ou la favorite (quitte à déguiser ce reproche en autre chose, plus socialement admissible).

Si nous ne savons pas pourquoi nous faisons ce que nous faisons, la cause de nos choix, la motivation réelle de nos engagements, nous courons tous vers les plus amères déceptions. Il est alors injuste de reporter la cause de ces égarements sur les personnes que nous avions élues, en toute inconscience et à partir de nos propres croyances ou fantasmes spirituels, comme nos guides et nos soutiens. C’est pourtant ce qui se passe de façon complaisante dans nos sociétés. Pour un gourou abusif, il y a dans une proportion évidente, une centaine de disciples qui sont inconscients de s’être créé leurs propres tourments.   

Nous ne pouvons donc pas en rester à une vision manichéenne du problème. D’autant plus que cette chute des gourous de leur piédestal (salutaire sur un certain plan) à aussi un effet pervers sur le plan spirituel. Parce que le « principe du guru » n’est pas la même chose que « le joug d’un gourou ». C’est la différence entre le bébé et l’eau du bain. Le principe en question est précieux, il est rare et devrait être protégé. Nous ne pouvons pas aider nos semblables dans le simple cadre étroit et codifié des règles thérapeutiques, distantes et sans âme que l’on voudrait nous imposer pour protéger tout le monde d’abus potentiels. Nous devons garder une place à la magie de la surprise, de l’innovation intuitive, du jaillissement spontané et inspiré de l’aide sans référence standard. Quelqu’un qui veut s’extraire de ses schémas répétitifs et douloureux ne sera pas aidé en se voyant imposer d’autres schémas répétitifs de façon automatique. Un être humain peut vivre des transformations radicales et salutaires dans un moment initiatique telle que la vie en offre souvent ou dans la relation d’aide inspirée, où les conventions laissent la place à un acte inattendu (c’est parce qu’on ne l’attend pas qu’il est si efficace et porteur) et bienfaiteur. Bien sûr, ce genre de proposition fait peur pour les raisons déjà évoquées. Il ne suffit pas de prétendre avoir pratiqué un moment initiatique pour qu’il en soit réellement un. Mais il ne peut s’agir non plus de prétendre que l’acte est systématiquement dommageable parce qu’il ne peut pas être « encadré ».  

Pour avoir suivi des centaines de personnes pendant quelques dizaines d’années, j’ai pu constater à quel point le ronron des assemblées sans moments initiatiques sont relativement agréables mais soporifiques pour l’âme. Nous attendons une « bascule » dans nos existences engourdies, dans nos systèmes de défense bétonnés. Nous savons intimement que nous avons tendance à perpétuer nos habitudes malsaines malgré nous et qu’une aide extérieure est souvent indispensable. Le discours n’y suffit jamais. Des percées actives dans nos modes de comportement sont nécessaires et nous pressentons que ce « coup de pouce » doit savoir déjouer nos stratégies bien rodées.   

Celui qui s’engage dans une relation d’aide avec la conscience qu’il ne recevra pas seulement un discours mais un coup de pouce de ce type ne peut pas se leurrer sur le sens et les implications de cette relation particulière. Il ne peut pas confondre celui qui l’aide avec un père de substitution. Il ne s’attachera pas au fait qu’il mange du poulet ou non ou qu’il ait éventuellement une relation intime avec une actrice indienne. Les projections, les peurs, la morale primaire ne sont pas bonnes conseillères. Elles ne nous disent pas grand-chose sur l’autre mais beaucoup sur nous-mêmes. Lorsque ces projections deviennent collectives (parce qu'une erreur est partagée par tous, elle ne devient pas une vérité), elles peuvent faire tomber des institutions et des personnes avec l'assurance d'avoir agi pour la bonne cause (c'est dans cet esprit que l'on brûlait les sorcières).

L’abus (ou l’ascendant au profit de l’ego du maître) est le fléau. L’inspiration authentique qui génère le moment initiatique est le cadeau. Comment allons-nous discerner ces deux actes, ces inspirations radicalement opposées ? Mais surtout, comment pourrions-nous le faire si nous ne sommes pas disposés à reconnaître les responsabilités partagées des échecs de certaines relations d’aide ? La victimisation des disciples et la diabolisation des gourous ne nous éclairent pas bien. Je dois souligner à ce stade de ma rédaction que je ne nie pas le risque du côté de toutes les formes de pouvoir. Mais une relation d’aide doit être bien fondée des deux côtés. Nous avons trop insisté, d’une façon simpliste et populaire, sur le versant du maître pour ne pas mettre un peu d’attention sur celui des assistés qui doivent apprendre également à grandir dans leur approche de l’émancipation et de la traversée de leurs limitations personnelles. Ne serait-ce que parce qu'ils pourront ainsi éviter de tomber dans le piège des abus.

Cette réflexion n’est qu’une ébauche. Elle ne peut se suffire à elle-même. Elle n’est qu’un discours et non un moment initiatique, justement. Nous devons nous pencher collectivement et sérieusement sur le devenir de ces relations d’aide en affirmant du côté des aidants la nécessité du dépassement de l’ego, d’une assise intérieure des grandes valeurs spirituelles et d’une inspiration authentique qui ne repose pas que sur la mémorisation de principes thérapeutiques ou de citations spirituelles. Mais nous devons tout autant informer les aidés de leur responsabilité dans un processus délicat et profond qui ne peut plus les garder dans ce statut infantilisant d’oisillons qui attendent leur becquée d’amour et d’être rempli de l’attention qu’ils ne s’accordent pas à eux-mêmes. C'est une belle aventure partagée. 

Lorsque nous aurons clarifié ces deux versants simultanément, je ressens que nous verrons se lever rien de moins qu’une aube nouvelle sur la spiritualité de notre temps.  

 

Lire également : L'ami spirituel, Le passeur, Aide-moi à faire seul, La demande d'amour, Les Sris et les larmes du Chercheur, La vie commence là où finit le rêve.

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